the sartorialist
Vous savez, il y a des matins dans la vie où vous vous levez dans un éclat de rire.  Où un sourire vous suit gentiment toute la journée , où vous traînez un visage radieux malgré vous. C’est rare, mais ça arrive.
Ce matin là, vous ressortez le recourbe cils et vous êtes la reine du monde.
J’appelle ça les journées où votre vie vous rattrape, où votre visage se reconnaît.
J’appelle ça les jours amoureux. Ceux où vous vous surprenez à regarder les arbres, tiens.
J’en ai eu quelques un comme ça ces dernières années. Et là très dernièrement.
C’est un réveil doux, où l’on rêve encore, avec étirement, avec enjambées. Quand BAM on entend quelque chose qui se fracasse. Merde, j’ai oublié que je dormais avec l’ordi sur mon lit.
On ramasse, tout va bien, la tête continue son sourire.
C’était un jour, où dans la voiture, au milieu des bouchons et de la chaleur, je regardais deux gosses dans la voiture devant moi. Ils collaient leur nez au pare brise arrière et jouaient timidement. Pas le genre de gosse qui vous fait la grimace quand il vous voit ( ou un doigt tiens, ça arrive aussi). Le genre un peu gêné et espiègle dans les yeux, qu’on a envie de prendre en photo.
Le genre qu’on a envie d’imiter aussi, et qui nous rappelle toutes les fois où, avant 10 ans, on a fait ça.
Je les salue quand ma voiture les double, et j’ai peur de me prendre un vent. Mais non ils sont gentils, ils me font un signe aussi.
Là je sais, à mon émotion ridicule, que mon enfance me cherche aujourd’hui.
C’était ce jour même où j’ai fait un road trip forcé avec une fille que je n’aime pas beaucoup. Les filles qui ne s’aiment pas savent se réunir autour de deux sujets de conversation : les cheveux et les garçons.
Les filles qui s’aiment aussi d’ailleurs.
On s’est éclatées à se raconter nos histoires de lit, de boutiques de lingeries tenues par des barbus où du coup t’oses pas trop regarder. Quand tu chopes timidement un modèle, le barbu te dit «  non non celui là ne t’ira pas, fais moi confiance, prends plutôt un bonnet C« .
Et t’as envie de t’enfuir. Alors que le mec il a toujours grave raison sous sa barbe.
On s’aime toujours pas avec la fille, mais on se fait moins de grimaces.
C’était ce jour aussi, lorsque je suis rentrée à la maison, et que ma mère m’a embarqué pour aller visiter un appart. « On cherche un logement maman?« 
-« Non mais ça fait passer le temps, et on sait jamais qu’un jour on veuille te foutre dehors » 

J’adore les agents immobiliers et leur j’ai-réponse-à-tout.  Si vous dites que la fenêtre donne sur une vue pourrie, il est capable de vous sortir « Non mais plus personne ne regarde par la fenêtre aujourd’hui ma p’tite dame ». 
Alors on est allés voir l’appart où ma mère compte me jeter un jour. Et je ne sais pas ce qui s’est passé, mais j’ai fait un bond dans le temps. J’ai la certitude d’avoir grandi dans cet appart, ou d’y avoir passé des heures et des heures, avant mes 10 ans.
L’agent immobilier nous dit qu’il a été construit au début des années 2000.
Je le crois pas, je crie  » On achèèèèèèèèèèète« !
Ca n’évoque pourtant rien de particulier à ma mère, mais ça me rappelle tellement quelque chose des années 80.
Ou des photos de mes parents dans le années 70. Quelque chose dans ma mémoire en tout cas.
En sortant de l’immeuble, j’eus la sensation d’un regroupement de vie.
On achètera pas, parce que « machi affaire », mais ça me conforte de savoir qu’il y a là, partout, des endroits inconnus ancrés dans notre mémoire.
Je me souviens qu’un jour j’ai beaucoup trop aimé cette phrase de Ionesco, « Le fait d’être habité par une nostalgie incompréhensible  serait tout de même le signe qu’il y a un ailleurs« , sans vraiment la comprendre.
Je me souviens avoir beaucoup dit, à une époque, que nous sommes originaires de la mémoire de nos parents.
J’y ajoute évidemment, allègrement, la mémoire de notre enfance.
Et il y a des jours, à la vue d’un endroit, ou d’un homme tiens, où votre enfance vous coure après. Alors mieux vaut n’avoir d’autre choix que de courir avec elle, de tourner autour des arbres, jusqu’en avoir les joues rosies, et le visage qui éclate de rire.
Mamzelle Namous