Il y a quelques jours, avec un ami, on évoquait la clandestinité de nos vies qu’on cache, en Algérie. On y trouvait un certain charme. Mais il faut du recul et de la hauteur pour y voir ça.

Si l’on vit sur terre, c’est juste pénible. Se cacher pour aller à tel endroit, pour voir telle personne.

Se cacher est bien un grand terme, il s’agit plutôt de composer avec son entourage proche.

 

Cet attrait qu’on y trouve m’a rappelé une aventure. Une histoire qui se passe dans un quartier proche de la mer et des  grands vertiges.

 

 » Dans un grand appartement, typiquement algérien – encadrés coraniques au mur, énormes fauteuils impossibles à déplacer, chauffage central – deux amoureux se retrouvent parfois. Hors de ces rendez-vous là, le lieu est vide. Ses propriétaires habitent ailleurs et n’y viennent que deux fois par an. Ils ont confié les clés à un cousin, de confiance.

Ce cousin y amène « son amie ».

Comme ils sont heureux, c’est un raffut quand ils y entrent. Les clés tombent ou tournent mal, la fille sonne dans le vide.  C’est un réflexe enfantin.

Les voisins d’à côté les entendent arriver et y vivre.  La fille des voisins, 10 ans à peine, trouve un grand charme à ce couple. Aux voix qui portent, aux éclats de rire, aux trucs qui tombent, au silence. Elle suit leur pas et se fait des films.

Elle ne les connaît pas mais  les imagine très beaux, grands, et comme dans les films.

 

Deux fois par semaine, les mêmes scènes se rejouent, et l’imagination de la petite grandit. Le couple arrive en début de soirée, la fille fait toujours du bruit dans les escaliers, et se prend le « chuuut » de son ami.   Ce à quoi elle répond souvent « oh ça va« .

 

La petite voisine pourrait jeter un oeil sur le palier et voir à quoi ils ressemblent, mais elle n’y pense pas, leur tonalité est déjà  toute une histoire.

 

Derrière les murs, elle entend les robinets couler, des appareils se mettre en marche.  La fille demande en criant s’il y a de la mayo ou des glaçons.

Mais la plupart de conversations parviennent comme des chuchotements. La petite n’ose pas coller son oreille aux murs, c’est une histoire naturelle qui lui vient.  Parfois la voix de la fille refait surface dans une exclamation ou un rire.  Et le « chuuut » du garçon censeur ne manque jamais.

Ils vont parfois sur la terrasse quand le temps s’y prête, elle le devine. Ils déplacent un matelas, ouvrent les baies vitrées, et la petite s’endort en espérant, un jour, ressembler à la fille. Et avoir des entrevues confidentielles avec le même homme.

 

Il y a souvent du silence, ou des petits bruits comme dans les films.  Parfois des disputes, souvent juste avant l’heure du départ. C’est avec eux qu’elle a appris la mélancolie amoureuse.

 

Après de longues heures rapides, les téléphones sonnent, il est l’heure de revenir à la vie officielle.  Elle entend la fille qui demande où sont ses bas.   Ils marchent sur la pointe des pieds. L’appartement se referme en silence. Elle  les visualise descendre les escaliers main dans la main, dans un dernier petit baiser avec l’obscurité pour témoin.

 

Une minute plus tard, le moteur de la voiture et un peu de jolie vie qui s’en va.

 

Loin des idées de la petite voisine, le couple se retrouve dans la voiture, déjà un peu nostalgique. Les virages défilent, la ville manque de complicité,  et chacun rentre chez soi avec d’autres histoires à inventer.

 

La petite voisine peut deviner ces suites et la solitude qui les attend. Elle trouve ces cachotteries parfois sinistres, et aimerait ne jamais connaître cette médiocrité. Et d’autres fois, il lui semble que ces petites clandestinités ressemblent à de savoureux clins d’oeil volés et il lui tarde d’en connaître le goût. »

 

 

 

 

 

Mamzelle Namous