Pratiquement chaque matin, j’arrive au travail, de mauvaise humeur, et j’ai l’espoir que ça va passer.
Allez savoir pourquoi.
Je sais pas non plus pourquoi je suis ronchon comme ça tous les jours. Tout mon entourage l’est d’ailleurs. Un jour on s’est posés la question avec mes amis. Y en a qui ont dit que c’est à cause de la crise des subprimes aux Etats-Unis qu’on déprimait grave nous les jeunes.

D’autres ont dit que c’est à cause du manque de perspectives dans ce bled pourri de merde où on étouffe putain.

Mais moi je crois pas à tout ça. C’est plutôt parce que certains jours, je n’arrive pas à me maquiller les deux yeux de la même manière, et je tape une crise.
Mais je sais qu’il y aura toujours une des filles du bureau pour me dire que je suis belle, et que ça se voit pas du touuuuuuuut. Parce qu’on fait ça entre filles, on se complimente tout le temps, même quand makayen walou.
Alors ce matin, j’arrive, énervée contre la société. L’un des ascenseurs ne fonctionne pas, je refuse de monter dix étages, et puis quoi encore.
J’attends donc avec la foule que l’ascenseur qui marche arrive. On se dispute pour entrer, on est serrés à l’intérieur, j’arrive pas à appuyer sur mon étage. Deux types me touchent les seins pour atteindre le bouton.
Je suis sure qu’ils l’ont fait exprès, j’ose pas lever la tête pour voir à quoi ils ressemblent.
Pendant trois étages, deux nanas parlent d’allaitement.
Même l’ascenseur a envie de se bloquer.
J’arrive enfin à m’extraire de la chose, brise respirez !
On me signale que j’ai du travail, wouhou, ça faisait genre un mois que je n’existais plus dans l’entreprise. Ca me donne envie d’envoyer un mail à tous mes potes qui bossent dans le privé et qui se moquent de mon boulot parce qu’ils disent que dans le public on fout jamais rien.
Ben voilà même pas vrai.
Aujourd’hui j’ai du boulot, une responsabilité et pour ce faire, je vais péter plus haut que mon cul.
Je sors mes jolies lunettes de vue de mon sac, je me regarde dans le miroir. Elles accentuent mon maquillage raté, je les range.
Je m’apprête à imprimer tous les documents supra-importants que je dois étudier, examiner, analyser, commenter, et là il ne se passe rien.
Je me rends compte que je ne suis connectée à aucune imprimante.
Ca  fait genre un an et demi que j’occupe ce bureau.
Je tape un scandale, personne ne m’écoute.
Je demande à quelqu’un  qu’a une imprimante (wouwww faut être super important pour en avoir une dans son bureau) d’imprimer ces trucs pour moi. Ce quelqu’un me dit qu’il faut que j’amène mes propres feuilles.
Je vais voir une secrétaire qui me dit qu’il faut que j’aille m’adresser à l’administration pour ce genre de requêtes  extraordinaires plénipotentiaires.
A l’administration, ils sont fermés.
Il est difficile de péter plus haut que son cul quand , à votre âge,  vous en êtes réduite à ça.
Je vais pleurer aux toilettes, mon maquillage coule, y a  même plus de papier pour essuyer mes larmes.
Y en a jamais eu.
Je lis les documents hypra-méga importants sur l’ordi, ma vue baisse de minute en minute, je peux le sentir.
Je prends des notes avec un crayon et un bloc-notes,  et je joue avec mon crayon, je mange mon crayon. Ca fait classe.
Je mets la web-cam pour que mes potes du privé puissent me voir travailler.  Je m’attache, l’air de rien, les cheveux avec mon crayon.  Et je détache, et je joue, et je relâche.
Je maîtrise à fond le look de la working girl.
Bon, en fait,  le document, c’est une directive du premier ministre.  Je comprends rien.  Mais paraît que c’est normal.
Je ne prends pas de pause-déjeuner , histoire de pouvoir dire plus tard  » Oh la la aujourd’hui j’avais tellement de travail que j’ai même pas eu le temps de manger! », comme ils disent les gens dans le privé.
Vers 14h, je frôle le malaise, l’hypoglycémie, l’anémie, le coma éthylique. Une fille dont le poste est « cadre-assistante d’administration » me ramène des dattes.
Je suis sûre que dans une boite privée, ils se ramènent des cupcakes.
Je finis mon boulot à temps, je ne comprends rien à ce que j’ai fait, je l’envoie à mon patron.
Je regarde mille fois dans la boite d’envoi pour vérifier que je l’ai bien envoyé.
Avant de quitter le travail, et parce que je suis restée une heure de plus et qu’il faut bien qu’il le sache, je vais le voir pour lui demander s’il a bien reçu mon mail.
La secrétaire me dit qu’il n’est pas disposé à me recevoir pour l’instant, que si je veux, elle peut m’inscrire sur le registre des rendez-vous.
Elle me demande mon nom.
Un an et demi de boîte putain.
Il est 16h30  ( wouwww j’ai tardé aujourd’hui), je cavale les escaliers, je rentre chez moi affamée.
Je dis à ma grand-mère  » Oh la la aujourd’hui j’avais tellement de travail que j’ai même pas eu le temps de manger! Tu peux me faire des crêpes? « 
Le soir, je vais au restau avec mes potes qui ont des super boulots dans le privé. Ils parlent de leurs putains de responsabilités qui les rendent fous ( oh la la ),  de leurs primes annuelles, de la différence entre un véhicule de fonction et une voiture de service ( aaaaaa okayyyyyy), de la mercedes mise à leur disposition par la boîte, de l’augmentation qu’ils ont réussi à négocier de justessssssse avec le CEO ( le quoi?).
Moi je dis, que demain, à la cantine, c’est couscous party, et je m’enferme aux toilettes quand l’addition arrive. Non mais et puis quoi encore.
Mamzelle Namous