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Jolies Vues #Paris

 

 

Un jour j’étais dans le train, je rentrais à la maison, d’humeur un peu maussade. Se sont assis près de moi un jeune homme et une jeune femme qui se taquinaient gentiment. Ils travaillaient ensemble, ils ont parlé un peu boulot, un peu de leurs collègues. Elle lui a demandé où il habitait exactement, il lui a répondu qu’elle lui avait déjà posé la question, et il faisait semblant de se vexer qu’elle ne s’en souvienne pas. Il s’est mis à lui parler de certains de leurs collègues masculins, en la charriant de plus en plus, en lui racontant qu’un tel avait demandé son numéro. Elle était moyennement à l’aise, éludait les questions, et lui il insistait. Mais ils rigolaient, et c’était drôle. J’essayais de les écouter discrètement, mais je ne pouvais pas m’empêcher de sourire.

 

J’avais très vite compris qu’il l’aimait bien, et que peut-être elle aussi. Qu’il se cachait derrière d’autres prétextes pour la sonder, qu’il était finalement vraiment contrarié qu’elle ne s’intéresse pas plus à lui.

 

Quand le train s’est arrêté et qu’on s’est tous levés, et qu’elle était un peu devant, il m’a dit, en souriant, « on vous a bien fait rire hein » ( cf. ma discrétion légendaire). Ça ne me regardait pas, mais je lui ai répondu « vous devriez lui dire que vous l’aimez bien ». Il était beau, il est devenu un peu rouge, il a marmonné un truc comme quoi non c’était pas possible, qu’ils bossaient ensemble. Et j’ai dit que ça serait dommage de passer à côté de sa vie. Elle s’est retournée et cherchait à entendre ce qu’on se disait. Il l’a détourné avec une énième blague.

 

Et puis je les ai regardé s’éloigner sur le quai, et je me suis sentie de très bonne humeur.

 

 

Mamzelle Namous 

About Writing…

Après deux ans d’absence sur le blog, j’ai pensé qu’il serait temps de revenir. Parce que ça me manque, parce que vous manquez, parce que ça serait bête d’en rester là. Parce que je suis assaillie de centaines de mails chaque jour de gens m’implorant de poster à nouveau.
Alors voilà, dans ma grande générosité, j’obéis.
Je voudrais d’abord rassurer mes millions de fans : je ne me suis pas arrêtée d’écrire. J’ai simplement arrêté de vivre à  Alger. Je suis partie un jour, en ne sachant pas pour combien de temps. En pleurant beaucoup la veille du départ, en n’emportant pas toutes mes affaires.
J’ai retrouvé Paris, ses longues avenues, ses petites rues, ses gens pressés, ses métros bondés, ses couloirs vides, ses clochards, les mendiants, des amis, des gens merveilleux, sa beauté harmonieuse, ses arbres en fleurs.
Au début, je me disais que Paris ne m’inspirait pas, que c’était très beau certes, mais que ça ne suscitait pas autant d’émotions qu’Alger. Je commence à changer de perceptions, à être de plus en plus émue à la vue de certaines vues.
Et pourtant, Alger, ça reste Alger… C’est indescriptible, ça prend dans la peau, ça prend dans les fissures que ça crée, ça vous prend à la gorge.
L’évocation de certains quartiers suffit parfois  à me faire pleurer.
Et pourtant, chaque fois que j’y reviens ( j’y ai passé 40 jours à la fin de l’an dernier…personne n’est mort non, mais j’ai le sens du drame), je me dis que la vie quotidienne y est de plus en plus difficile. Qu’il faut beaucoup de souffle, et parfois j’en manque.
Mais rien n’est figé.
L’année dernière a aussi été particulière : j’ai écrit un livre. Il est sorti comme un souffle. Et puis il a fallu travailler ce souffle, le travailler encore, le relire, le retoucher, être obsédé par des petits mots, hésiter, couper, regretter, reprendre. Jusqu’à un jour, vers deux heures du matin dans un bar d’hôtel vide, dire: stop, c’est fini. Ce souffle est prêt à aller voir ailleurs.
Je vous tiendrai au courant si tout ça prend une forme palpable. En attendant, j’ai envie de revenir ici.
Je vous embrasse fort fort fort.
Mamzelle Namous 
 p.s i love you : je suis aussi une grande influenceuse active sur instagram ! 

une femme & un homme

 

 

 

 

 

Nesrine aurait eu 30 ans le 18 mai. Elle aurait sûrement aimé l’arrivée de cet âge, qui dédramatise tout. 30 c’est marrant, c’est neuf, c’est rond. Elle aurait probablement voulu le fêter, mais se serait mal organisée. On aurait fini par se retrouver et on aurait parlé d’amours et de toujours.

 

Peut-être aurions nous parlé de Pierre, sa nouvelle « cible » amoureuse.  Il est arrivé à Alger il y a quelques années et elle l’a aimé quasiment tout de suite. Quand il sourit, quand il la regarde, elle fond. On attendait patiemment qu’il se sépare de sa copine, et dans cette attente, on élaborait des stratagèmes pour l’évincer, cette pute.

 

La dernière fois qu’on a croisé Pierre ensemble , c’était dans une cour ensoleillée. Le bleu tapait très fort, et on se disait «  il faut regarder le ciel, pas le soleil ». Alors qu’on avait le nez levé et le front aveuglé, Pierre est passé. Il a souri de son sourire à faire fondre, j’ai émis un ridicule «  ah salut » , et Nesrine n’a rien pu dire, elle a juste souri aussi je crois.

Elle avait 27 ans, l’âge de sa copine à lui. Les mêmes cheveux longs et bruns, la même carrière dans le journalisme. Elle la connaissait un peu. Une fille sympa, sans plus, insignifiante.
On aime bien dire ça des filles dont on désire le mec. Elle casse pas trois pattes à un canard. Comme si nous on les cassait ces trois pattes à ce canard.

 

Un soir, ils se sont retrouvés seuls dans un restaurant, Pierre et Nesrine, les gens étaient partis , et eux sont restés à siroter. Ils se sont un peu tournés autour, je ne sais plus s’ils se sont fait un bisou. Ca n’a pas vraiment d’importance.

Le lendemain, elle m’a appelé en me disant que c’était l’une des meilleures soirées de sa vie, mais qu’elle en était rentrée un peu mélancolique, car il lui échappait. Mais c’était beau de vivre cet instant, et elle l’avait apprécié, et continuait de l’apprécier pleinement, en le perpétuant dans sa tête.

 

Pierre, pierre , pierre.

Son prénom, exotique à Alger, sonnait comme une petite poésie. Il sortait parfois au milieu d’un silence, dans un soupir ou une joie, prononcée de façon prolongée, comme un appel.

Pierre était dans nos vies, mais nous n’étions pas, ou si peu, dans la sienne. Comme à l’adolescence.

Mais on se trompait, il nous aimait bien. Il disait de Nesrine qu’elle était «  son algéroise préférée », et la prenait dans ses bras lorsqu’ils se croisaient.

Il paraît qu’il y avait de l’eau dans le gaz avec sa copine, mais il était trop élégant pour en parler.

 

Durant les mois où Nesrine était malade, il prenait souvent de ses nouvelles, il voulait aller la voir, mais elle ne voulait pas. Il était inquiet. Un jour, alors que j’étais en voiture, je l’ai vu marcher seul dans la rue, dans la partie supérieure de Sidi yaya, juste avant la pharmacie, il m’a semblé qu’il parlait seul. Il avait l’air triste, et je suis sûre qu’il pensait à elle.  Qu’il pensait à son envie de l’aider,  son impuissance, au manque, au désir d’arrêter le temps, de déplacer des montagnes, et à l’impossibilité.

Il était tête baissée, il ne souriait pas, aucune fille ne fondait sur son passage. Et moi je me suis fondue de désespoir.

 

Pourtant, durant les semaines et mois qui ont précédé la mort de Nesrine, j’étais persuadée qu’elle ne mourrait pas. Des amis me l’avaient dit, que c’était très grave, qu’elle était condamnée, mais je rejetais ça en vrac. Ce n’était pas possible. Je crois que j’avais même écrit à Pierre que certaines personnes disaient cela, mais que je ne le croyais pas.

 

Je lui ai parlé le soir de sa mort, il ne savait pas quoi dire. Il était à l’étranger , des secondes de silence nous ont traversé. Il est venu pour le «  troisième jour », s’est présenté à ses parents. Son sourire triste a rencontré celui de son père.

Des filles que je ne connaissais pas ont chuchoté dans la cuisine «  c’est qui? ».

-C’est Pierre.

 

Il est resté un peu, puis est ressorti. Je l’ai vu descendre les escaliers, lui qui n’était jamais venu chez elle quand elle était là. C’était surréaliste. J’aurais voulu lui raconter ça à elle. Pierre était chez toi, il a vu ta chambre, tes photos, tes DVD, tes livres, ce tableau accroché, il a demandé de qui c’était, il a dit que c’était sublime. Il s’est arrêté devant ton appareil photo vintage, il a souri. Oui de ce sourire-là, mais avec un peu de tristesse sur les lèvres. Il était beau quand même oui, toujours. 

Il a senti l’odeur des sacs en cuir dans ta chambre. 

Sa copine? Cette pute n’est pas venue non. Qu’elle crève. Oups, pardon. 

 

 

J’ai revu Pierre il y a quelques semaines, à Paris.  Il a quitté Alger l’an dernier, il n’a pas renouvelé son contrat, et hormis le ciel, rien ne le retenait. J’ai compris que la pute était out of the picture,  il a fait une ou deux allusions sur le fait que ça ne s’était pas bien passé avec elle. ( j’ai rigolé en m’imaginant raconter cette anecdote à Nesrine).

 

On a parlé de Nesrine, il a demandé des nouvelles de ses parents, de sa soeur, de son frère. Je n’en ai plus beaucoup. Un court silence est passé, et il a  prononcé «  ah nesrine », comme une prière.

 

 

Mamzelle Namous

Golden Baby

 

 

 

 

Récemment, j’ai recroisé une personne que je n’avais pas vu depuis quelques années, et après les embrassades, les t’as pas changé, toi non plus, c’est fou de se croiser ici, comment ça, ça va ça va, j’ai eu droit à la fameuse question à laquelle on ne s’attend pas du tout quand on est célibataire : Alooooors tu t’es mariée?
-Non.
-Noooon??? Mais comment ça se fait ? Pourquoi?

 

Face à l’inédit de ces interrogations, je n’ai évidemment pas su comment réagir, et je n’avais pas de super réponse à donner.  A part « bah la vie, tout ça ».
-Non mais t’as bien dû avoir des occasions.

 

Ah, « l’occasion », mot qui revient souvent dans le vocabulaire associé au mariage et aux rencontres. Et parfois suivi de « t’as raté des occasions, c’est dommage ».

L’homme, ou l’histoire, peut donc être une occasion, que vous saurez saisir, si vous êtes smart, ou que vous laisserez passer, si vous êtes conne. Ou pire, inconsciente. Et dans 30 ans, avec vos cheveux blancs et votre gin tonic, vous penserez amèrement à toutes ces occasions ratées. Trop occupée à faire d’autres plans.

 

Comme pour les voitures ou les ordinateurs, les occasions, il y en a des belles qui ont pu vous passer sous le nez. Parce que l’acheteuse à côté faisait une meilleure offre, ou que le produit n’est pas resté sur le marché assez longtemps pour que vous lui sautiez dessus et l’agrippiez de force. Peut-être que vous aviez tenté, que vous y aviez mis du cœur et du rouge à lèvres, mais que ça n’a pas suffi.
Et puis les occasions, il y en a aussi des moyennes et des pourries. Et ça, bon Dieu, vous en avez vu passer. Des trop cher pour ce que c’était. Des qui correspondent pas à l’annonce. Des qui fonctionnent vraiment mal. Mais même celles-là, vous auriez pu leur donner une chance merde.

 

C’est vrai, j’ai peut-être parfois été trop sévère. Toutes ces idées et occasions ratées m’ont alors traversé l’esprit quand cette personne m’a posé la question.
En vrac, j’ai pensé à :

 

– Ce mec qu’on avait surnommé avec des amies « the good guy », parce que c’était un bon garçon, gentil, bien élevé, mignon. Il avait, comme on dit, « tout pour lui ». A notre premier rendez-vous, je me suis faite chier comme un rat mort. Je n’avais rien à lui dire. Quand je suis rentrée à la maison et que j’ai raconté à ma grand-mère, elle m’a dit « hada, les filles idirou s’hour pour l’avoir et toi zaama tu t’ennuies»  ( les filles pourraient faire de la magie noire  pour le pécho, et toi tu te la joues.. allez file dans ta chambre). 

Il faut me comprendre, la veille j’avais rencontré un homme merveilleux. Mais ce n’était pas une occasion, c’était une vaste escroquerie, et je savais que j’allais me tromper, mais j’ai fermé les yeux et ouvert grand mon coeur. (bouhhhh… je l’ai payé cher après, vous inquiétez pas).

Bon, j’ai quand eu même des doutes sur ce « good guy », alors, sans grande motivation, je l’ai revu, car comme a coutume de le dire une amie, il faut donner sa chance au produit. Le test ne s’est pas révélé concluant.
Mais quand j’ai montré sa photo à ma grand-mère, elle a trouvé qu’il n’avait pas une bonne tête. Ouf, pas de regrets.

 

– Autre grande occasion ratée: un parkingeur à Hydra. Oui oui, c’est sérieux. L’amour n’a pas de limites. Les rencontres non plus, surtout chez les parkingeurs.
Je le voyais assez régulièrement, il avait une collection d’oiseaux et jamais de monnaie. Malin, aime les oiseaux, a  donc une âme un peu poète, et probablement plus riche que moi dans quelques années. Sourire ravageur tant qu’il ferme sa bouche. Yeux brillants et rieurs. Moi j’dis que ça suffit.  Surtout quand on a dépassé 28 ans (l’âge du «hadak houwa, ma bka walouuuuu») ( c’est bon c’est le moment ma poule, y a plus rien à attendre là, y a plus qu’ààà)

( et encore 28 ans je suis généreuse, j’ai entendu cette sentence s’appliquer à des femmes bien plus jeunes, et à des jeunes hommes aussi. Ce qui est bien avec cette pression du mariage, c’est qu’elle pèse aussi sur les mecs maintenant. Egalité des sexes, suppression des discriminations, mariage pour tous, voilà de vraies avancées sociétales, merci Bouteflika.).

 

Revenons au parkingeur. Je le croisais, il me croisait, on se souriait. Des vrais préliminaires chauds bouillants. Un jour, il est passé par ma soeur ( le mec respectueux ), pour lui demander si j’étais célibataire.
Et cette conne, elle a rien trouvé d’autre à dire que  « oh tu sais elle est un peu plus âgée que toi… »
Et lui de répondre «  ah ok. mala khlass ».
Le mec s’est contenté de cette réponse. Il ne voulait plus de moi. J’en pleure encore, et je ne parle plus à ma soeur depuis.

 

-Une autre belle occasion ratée : un type qui ne m’a jamais rappelé. 
Ah non pour le coup c’est pas vraiment ma faute.

Enfin, si je l’avais pas harcelé, il aurait peut-être pas eu peur, et je serais présentement en train de chercher une crèche pour notre deuxième enfant là. Parce qu’on ne serait pas vraiment satisfait de celle à laquelle allait notre premier, pas du tout conforme à nos attentes de jeunes parents désireux d’éduquer leur enfant dans l’épanouissement de soi, l’éveil artistique et autres valeurs merveilleuses.

Ç’aurait bien chiant à chercher ça, je suis bien contente de pas en être là.

 

-Ah pas plus tard que l’été dernier, je suis encore passée à côté d’une occasion en orrrr.
J’accompagnais ma mère chez son coiffeur ( qu’on connait depuis… toujours). Il lui faisait son brushing, bla bla bli bla bla blou, et à un moment je les entends  baisser un peu la voix. Je crois entendre certains mots, et je comprends qu’ils parlent de moi. Et que ça cause mariage. Je crois que j’étais tellement désespérée que j’attendais vraiment que le gars me dise qu’il avait quelqu’un à me présenter. Le fils de kech cliente. Beau grand et riche, super intelligent qui se prend pas au sérieux, avec un humour anglais et des blagues algériennes, et un appartement parisien.
La base quoi.  Genre le fils caché de Sellal, ou de toute autre personnalité ayant des biens acquis à l’étranger.

 

A la fin du brushing, il s’approche de moi et commence en effet à me parler de « quelqu’un ». Boum bada boum. Il emploie certains mots magiques : «  chirurgien pédiatrique » ou «  pédiatre chirurgien » ( je pensais que c’était pareil mais une amie médecin m’a expliqué que non, qu’il y en a un qui est beaucoup beaucoup mieux que l’autre, mais je sais plus lequel c’est). Il ajoute que c’est un ami à lui, et me donne son âge. 15 ans de plus que moi.
Même ma mère a fait une grimace.
« si tu veux je lui donne ton numéro, il t’appelle, et vous discutez ».
« euh oui ok ».

L’occasion de merde quoi. Vous imaginez l’appel téléphonique. « Bonjour je suis machin, l’ami de Nabil, le coiffeur » .
Je préfère encore chercher une crèche qu’avoir à répondre à ça.

 

Bon, machin, le pédiatre chirurgien ami du coiffeur n’a jamais appelé. L’occasion ne s’est pas présentée, donc ça rentre pas dans la catégorie « pertes».
Quelques mois plus tard, j’ai revu le coiffeur, qui m’a relancé « si tu veux je te donne son numéro, et toi tu l’appelles ».

-Non non ça ira merci.

 

( je tiens tout de même à préciser que je n’ai rien contre la différence d’âge, si l’occasion est encore bien fraîche. 
Non, parce que moi, j’ai dépassé 28 ans, mais je le suis encore, promis, juré, craché. Si vous connaissez quelqu’un, vous pouvez lui filer mon mail…. C’est indiqué en haut, là, dans la rubrique contact.  Merci 3likom). 
 

 
Donc toutes ces occasions, et d’autres encore me sont passées par la tête quand la question m’a été posé. J’aurais pu raconter tout ça. Ma bêtise, ma fainéantise, mon envie de me plonger corps et âme dans des histoires destinées à mourir, mon amour du présent, de l’amour pur qui n’attend rien, qui n’a pas de but. Mais je n’ai pas trouvé les mots, et j’ai juste hoché les épaules.
Mes épaules ont alors reçu une petite tape amicale, un regard plein d’encouragement et un « kelchi bel mektoub de toute façon» ( tout n’est que destin ). Tout de même suivi d’un « mais ne sois pas trop difficile,  tu sais l’homme parfait n’existe pas ».
-Oui c’est vrai. Après tout, c’est comme les crèches.
-Hein?
-Non rien.

 

 

 

 

Mamzelle Namous

Un Heureux évènement

 

 

L’autre jour j’étais dans le bus , à Paris, assise à côté d’une marocaine et d’une algérienne. D’un certain âge, comme on dit ( des vieilles). Elles ne se connaissaient visiblement pas très bien puisqu’elles se posaient des questions sur leurs vies, leurs enfants, leurs beaux-enfants. La marocaine a dit que l’une de ses belle-filles était algérienne. L’autre a direct demandé « de quelle région? »

 

-De kabylie
-Ah ! c’est bien ! elles sont belles les kabyles, elles ont la peau blanche, les cheveux clairs, en plus c’est des travailleuses, elles cuisinent…
– bla bla bla
– C’est pas comme les sétifiennes, elles savent pas cuisiner….

 

Tous les clichés étaient là, comme ça, direct dans ta tronche brune. Je me suis dit que c’était probablement pour ça que je ne m’étais pas mariée, pas assez blanche, pas assez bonne cuisinière, pas assez kabyle. Mais Dieu merci, pas sétifienne, ç’aurait été le drame de ma vie.

 

Bon évidemment la meuf qui a sorti ces phrases devait être très très conne, mais ce truc de la blancheur est tout de même hyper répandu chez nous, les algériens. Et peut-être dans les autres pays du Maghreb aussi. On a pas l’exclusivité de ce soit-disant critère de beauté, suffit d’aller voir les femmes noires qui se dépigmentent la peau pour tendre plus vers le « marron » que le « noir », et qui souffrent beaucoup de cette vision de la beauté.

 

En Algérie, ça m’a toujours un peu fait rire. Les meufs qui veulent pas bronzer avant leur mariage pour être bien «blanche » le jour J. Les femmes qui précisent à chaque fois « elle est très belle, blanche de peau »; « Elle est très brune, MAIS elle est jolie ». Sans parler des yeux clairs…. critère ultime de la beauté fatale!

 

Bon c’est assez rigolo, ça empêche pas les bruns et les brunes d’être heureux, beaux, et amoureux, et épanouis, et de fuck them all, mais c’est tout de même un peu triste aussi. On passe notre temps à parler du « complexe du colonisé », à reprocher à certains d’être trop francophones ou francophiles, de pas assez parler arabe, de pas être suffisamment algériens, de vivre un mode de vie « occidental », d’être complexé, parce que vous vous comportez de telle ou telle façon, et chez ceux-la mêmes qui font ce genre de reproches, on retrouve ce graal de la beauté blanche. De l’oeil clair. Suffit de voir le bonheur de certains parents quand ils décèlent chez leur rejeton une lueur bleue ou verte dans l’oeil, limite ils ont envie de poster ça sur Facebook. Peut-être que certains le font, et que leurs amis commentent sincèrement « allah ibarek »*.

 

Toutes ces questions de types et de races ( oups le gros mot ), ça me dépasse un peu. Il vaut mieux qu’on parle d’un problème plus grave encore en Algérie et qui nous concerne tous : les secrets autour des bonnes nouvelles. Je passe du coq à l’âne oui, mais ce n’est pas bien grave. A défaut d’être blonde, j’ai le droit de papillonner d’un sujet à l’autre.

 

Alors je l’avais bien sûr déjà remarqué ici et là, les gens sont généralement peu enclin à partager les bonnes nouvelles. Parfois, surtout quand c’est professionnel et anticipé, ou financier, quand il s’agit de grossesses, ou que la chose ne vous regarde pas, c’est tout à fait normal.

 

Mais ce qui me choque, c’est lorsque des gens que vous connaissez bien, voire très très bien, voire trop bien, vous cachent qu’ils vont se marier dans quelques mois. Si vous ne leur parlez pas, et que vous n’évoquez jamais le sujet, alors ok pourquoi pas…. Mais quand ces gens-là vous parlent fréquemment, passent des soirées avec vous, se plaignent même parfois de leur célibat, vous demandent « et toi c’est pour quand? » « et toi t’en es où? », et vous souhaitent «d’être la prochaine » , et qu’un jour ils vous appellent pour vous inviter à leur mariage qui aura lieu dans 15 jours, vous êtes en droit de vous poser des questions.

 

Je crois que nous sommes nombreux à avoir vécu ce genre de situations:

– Allo? salut, ça va? ça va? el hamdouleh et toi? bla bla bla! je t’appelle pour t’inviter à mon mariage, c’est dans deux semaines, tu es libre j’espèèèèèère.
-……..hein? hahaha! c’est une blague?
– non non
– non mais t’avais un mec ( ou une meuf?) ( enfin, en général l’ami masculin qui vous a caché l’existence de sa fiancée ne vous invitera pas à son mariage).

 

Et là attention vous avez droit à l’explication internationale de la mort qui tue :
– Tu sais, tout ça s’est fait très très vite. On m’a parlé de quelqu’un, on nous a présenté. ( ou alors c’est un ex qui ressurgit des méandres du passé, ou un voisin, ou un cousin. Dans ce dernier cas, ils peuvent toujours se brosser pour que leurs enfants soient race aryenne). Et puis, son frère qui habite au Canada est venu à Alger, et comme il vient qu’une fois par an, on en a profité. Enfin voilà fallait faire vite.
-Ok…..
– Mais s’il te plait viens viens viens, matloumich 3liya**, j’ai pas eu le temps de te prévenir avant, on court partout avec les préparatifs.

 

 

Et cette personne est sincère, elle veut vraiment que vous soyez présent à son mariage. Elle voulait juste pas vous prévenir trop tôt…

 

La première fois que j’ai entendu ce genre d’histoires, j’ai cru en la bonne foi de la personne. Après tout, le coup de foudre, les décisions hâtives , ça existe. Et puis, quel intérêt à mentir?

La deuxième fois, j’ai commencé à croire qu’Alger se transformait en Las Vegas. Si tu veux te marier en mode express, viens à Alger.

 

Et puis j’ai entendu de plus en plus d’exemples comme ça.
La troisième fois, quand une personne très proche m’a fait ce coup, j’ai crié d’étonnement et de dépit. J’ai réalisé les sentiments et suspicions derrière ces cachoteries. Je peux même les comprendre, les algériens sont tellement paranos qu’ils ne s’échangent même plus les trucs les plus basiques. Mais ce que je ne comprends toujours pas, c’est pourquoi les gens qui vous cachent ces choses insistent tant pour que vous soyez présent à leur fête.
Pour l’image peut-être, le qu’en-dira-t-on, le désir de ne pas briser de liens…. Mais cette fois là, j’ai décidé que cette histoire d’image ne suffisait pas, et je suis restée chez moi, avec mon air brun un peu déçu. Pourtant j’étais sincèrement heureuse que mon amie ait rencontré quelqu’un, mais ce bonheur, j’ai fait comme tout le monde, je l’ai gardé pour moi.

 

Mamzelle Namous
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*Bravo bravo bravo, sur le dos du bon Dieu
** Ne m’en veux pas /please don’t be mad/ no me detestaré

 

Achoura! Chekhchoukha! Débat!

 

Pourquoi sommes-nous si durs avec nous-mêmes? 
Je me faisais cette réflexion ce matin en lisant un traité de philosophie face au soleil naissant.
Non. Je me faisais cette réflexion ce matin ( à 11h) en lisant sur Facebook le statut d’une amie qui moquait gentiment les gens qui jeûnaient pendant Achoura ( fête religieuse où l’on a coutume de jeûner un jour ou deux. Pour plus d’informations, voir sites spécialisés, c’est pas que je veux partager l’information, c’est que j’en sais vraiment pas plus). 
Et elle n’était pas la seule à faire ça. D’autres le font de façon plus sérieuse et virulente. J’ai remarqué que, par exemple, à chaque veille de ramadan, ou d’autres occasions religieuses, beaucoup de personnes  critiquent les gens qui jeûnent en les prenant pour des cons qui ne font ça que par hypocrisie,  pour gagner des bons points et se faire pardonner leurs erreurs par le bon Dieu tout puissant là-haut dans le ciel. S’en suivent alors des débats stériles avec des personnes qui se sentent agressées par de telles opinions, et chaque camp reproche à l’autre son manque d’ouverture d’esprit. Ambiance! 
 
Ces moqueries ou critiques contre le jeûne sont inoffensives, elles sont même parfois rigolotes, mais elles sont quand même très récurrentes. Alors oui, notre société est remplie de moralisateurs religieux, de prescripteurs à deux sous,  et parfois on a envie de leur renvoyer la balle. Mais franchement, hors du ramadan, personne ne vous emmerde si vous ne jeûnez pas. Pour Achoura, c’est juste une vague tradition. Et quand bien même de plus en plus de gens ont tendance à le faire, qu’est-ce qu’on s’en fout, si ça leur fait du bien. 
 
Un truc qui me gêne aussi  pendant le ramadan, c’est les gens qui écrivent ou disent «  bon ramadan à ceux qui le font pour de bonnes raisons ».  Alors qu’avant on se contentait juste de juger les gens, voilà que maintenant on monte d’un cran et on se fait carrément juges de l’intention. 
 
Mais merde, peu importent les raisons qui  poussent à faire quelque chose. Qu’elles soient profondément pieuses, ludiques, traditionnelles, familiales, pour le ventre plat,  par superstition, pour dormir la journée sans culpabiliser. Tant qu’on emmerde personne….
 
Ce genre de critiques est souvent en réaction aux «  religieux » qui crient sur les toits ce qu’ils font, ce qu’il faut faire, qui ponctuent leurs phrases d’Allah ceci, Allah cela. Qui rentrent chez vous en vous demandent où est l’ kebla ( direction de la Mecque) pour qu’ils puissent prier, et qui vous regardent comme si vous étiez la dernière merde sur terre quand vous répondez « bah je sais pas, t’as pas l’appli boussole sur ton samsung galaxy S18? »
 
Alors oui ceux-là sont énervants. Et ils méritent sûrement qu’on se moque un peu d’eux parfois. Mais  je crois ( en tout cas j’espère), qu’ils ne représentent  pas totalement la culture algérienne. Qui est AUSSI  une culture d’humour, d’auto-dérision, d’arrangements avec soi-même, faites de : 
« bon ok je jeûne si le maghreb ( heure où l’on peut enfin manger) est pas trop tard , mais juste un jour.
-Mais non il faut faire deux jours de suite, pour le distinguer du jeûne des juifs.
-C’est pas grave, je serai juive cette semaine. »
 Pendant le ramadan:
« Je jeûne pas aujourd’hui, je voyage.
-Où?
– c’est un voyage intérieur. En méditation ».
«  J’ai un problème hormonal:mes règles durent 15 Jours, mais juste pendant le ramadan ». 

 « J’ai continué à manger ma tartine après l’fajr ( heure du matin où faut s’arrêter), je voulais pas gaspiller ».

 

«  J’aimerais tomber enceinte cette année, juste pour pas le faire. Mais merde j suis même pas mariée. ça craint quand même? »
 
J’ai entendu mille fois ce genre de choses et jamais il me viendrait à l’esprit de répondre «  ben si tu veux pas, ne le fais pas, personne te force », ou de penser que les intentions des gens ne sont pas nobles ou authentiques. Un, parce que j’emploie moi-même ces phrases. Et deux, parce qu’on est pas obligés d’être toujours complètement cohérents et sérieux. C’est déjà assez difficile de savoir ce que l’on est, ce que l’on veut, le pourquoi du comment de ce qu’on fait, si en plus les autres s’en mêlent méchamment…on est pas sortis du caca. 
Alors soyez gentils avec vous-mêmes, et pas trop durs avec les autres, ça facilite la digestion, la circulation, les rapports sociaux, buccaux, humains, transnationaux. Ça change la vie quoi, c’est le soleil naissant qui m’a dit ça ce matin. 

 

Namasté. 
Joyeuses Achourettes. 

Le père d’Ali

les applaudissements ne se mangent pas

 

 

Vendredi jour du seigneur, jour du ramadan en plus, ils ont été nombreux à aller à la mosquée. Pour Ali, 28 ans, c’était la première fois.

 

Depuis quelques années son père s’était mis à la prière, en faisant du bruit. Il n’avait jamais été particulièrement pratiquant avant, quand on lui parlait de religion, il faisait sortir un «  pffff » de sa bouche, et on lui en parlait de plus en plus souvent.

Pourquoi tu pries pas? pourquoi tu jeûnes pas? tu veux pas accompagner tes soeurs ou ta femme à la Mecque? Dir hassana kbira.*

Le même pfff. Parfois il lançait même des insultes dans l’air, à l’intention de personne, mais à une masse imaginaire de tartuffe. Si c’est pour être comme eux, non merci. Ils prient ils prient, ensuite quand tu vois ce qu’ils font…biiiip. 

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LA VIE ARABE

 

P_-Bausch-Le-Sacre-Ph_-S_-Math-01
C’était un vendredi matin, fin de matinée, y a quelques semaines à Alger, dans mon quartier de vis-à-vis, vue-à-vue et de vis ma vie
Je crois que ma mère et ma grand-mère attendaient la prière à la télé, que mon frère dormait, et que mon père faisait les cent pas dans la cuisine . 
Moi j’ trainais près de la fenêtre, je regardais la jeune voisine d’en face faire son ménage. Elle s’y prend un peu plus tard le vendredi, c’est le week-end, la liberté, la folie . 
Elle aère les draps, pose des petits tapis sur le rebord du balcon et passe le balai, puis la serpillière. Un processus bien coordonné sous mes yeux. Pour l’occasion elle ne porte pas son voile, même si des gens peuvent la voir. Je remarque qu’elle a teint ses cheveux en blond, ça lui va plutôt bien. 

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Saint-Vincent-et-les-Grenadines

edward hopper

 

 

J’en avais un peu parlé sur instagram , j’ai parfois envie de faire des choses différentes avec le blog, de faire un peu de récit, comme on djit. Ce n’est pas la première fois, mais là c’est un peu plus long, c’est peut-être le début d’une histoire, que je posterai au fur et à mesure si ça vous intéresse. Ou ça s’arrêtera peut-être là, comme certaines histoires d’amuuuurrr! lire la suite

How to Roll

Ari set cohen

 

 

A Said Hamdine , j’ai vu  cette femme d’un certain âge qui parlait de ses mains bien abîmées, et du vernis semi-permanent qu’elle avait fait poser y a quelques semaines. Elle était contente qu’il ait aussi bien tenu, que c’était chouette pour les fêtes! L’esthéticienne lui demande si elle veut en remettre.
– non non j’ai une chimio agressive bientôt, c’est pas la peine.
– en tout cas vos cheveux sont magnifiques !
– ça c’est une perruque, faut bien agrémenter les choses parfois ! ( courte et grisonnante la perruque, vraiment super)
Elle parle d’une façon très enjouée, parle beaucoup de ses mains et ongles, attache beaucoup d’importance à certains détails, tout en s’en moquant un peu.

 

J’aurais voulu la regarder un peu plus mais je devais y aller. Pour rentrer, j’ai pris un taxi clandestin, j’avais envie de dormir et lui de parler. De tout, du temps qu’il fait, de l’hiver qu’on a pas eu, d’Aït Ahmed et de sa maison en face de l’ambassade British, de l’hypocrisie des algériens, que ce pays marche à l’envers. Regarde Boudiaf, les français l’ont pas tué, les algériens s’en sont chargés! …………………
J’ai essayé de comprendre le semblant de logique de cette dernière phrase mais j’ai pas pu.

 

J’essaie de fermer les yeux mais il en remet une couche sur les embouteillages et tous ces gens qui sortent juste pour tourner, ils font le plein et ils vont rouler. Ils roulent des heures juste comme ça. J’ai peur qu’il se mette à disserter sur l’augmentation du prix de l’essence mais non ça va . Il me dit juste que lui il sort jamais sans raison. Tiens regarde, y a des gens qui s’arrêtent sur la route juste pour regarder dès que quelqu’un se fait  arrêter ou change une roue, ça crée encore plus de bouchons mais les algériens lazem ichoufou*!
Quand on passe près du zoo de ben aknoun il me dit que les animaux y souffrent. Avant avant c’était bien mais maintenant c’est n’importe quoi là-bas, par contre le jardin d’essai c’est très beau, mais bon des fois la fréquentation chuia chuia… Ouais j’ suis d’accord.

 

Je regarde par la vitre et je vois un homme cracher à travers la sienne.
Les hommes qui crachent maman ….

 

On finit par arriver, il fait presque nuit. Sa dernière phrase sera, comme pour compenser, et avec un petit sourire en coin : « Alger c’est quand même beau le soir ».
J’ai  envie de répondre même le jour, mais avec tout le moche qu’on a vu,  je ne suis plus vraiment très soûre.

 

500 dinars , ya3tik saha , merci au revoir, ethalay. Il va retrouver ses enfants qu’il a pas le temps de voir la journée, il cumule deux boulots. Je le trouve soudain bien brave et même pas si chiant que ça.
Je repense à cette femme qui va avoir sa chimio agressive dans quelques jours et qui garde toute sa coquetterie et dérision.  Au milieu de tous ces crachats et tournages en rond, y a des gens qui savent rouler  dans la vie avec courage et humour, c’étaient eux la beauté de la ville ce jour-là.

 

 

Mamzelle Namous
*Il faut qu’ils s’arrêtent ou qu’ils ralentissent pour regarder!